Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 2.djvu/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.

malheur moins l’expérience, c’est le malheur plus le malheur. Or, voilà notre lot jusqu’à ce jour dans tout ceci.

Mais aussi, avec quelle légèreté s’embarque-t-on ! — Le ciel est si pur ce jour-là, la mer est si calme, la brise est si douce : à quoi bon prévoir l’orage ? Et d’ailleurs, est-ce qu’il peut y avoir ombre de danger sur une mer si riante ? Allons donc ! vogue le mariage et vive le plaisir ! Une vague enjôleuse vient amoureusement baiser le sable sous vos pieds et vous soulève ; on part, on est parti. — Adieu. — Avec quelle ardeur on fait son premier quart, son quart de miel ! — Toujours en grande tenue, toujours sur le pont, toujours au gouvernail, on passe radieux entre les autres voiles, comme un noble cygne au milieu de vulgaires canards. Hélas ! ces canards-là ont été cygnes comme vous un jour !…

Cependant, à la longue, le vent fraîchit un peu. On descend, puis on se dorlote tant et si bien dans le roulis de son bonheur que vos yeux se ferment. « Pour Dieu, ne dormez pas ! — Ah bah ! la mer est belle. — Mais, malheureux, le sommeil vous perd ! — Au contraire, répondez-vous, il me gagne… » Et vous dormez… Malédiction ! Au réveil, le temps menace, l’équipage boude, votre navire est en pleine dérive. Seul, sans ancre, sans boussole, que devenir ? Par hasard passe une barque. — Ho ! hé ! de la barque, ho ! hé ! — Elle accoste. Par un hasard plus grand encore, il se trouve que c’est un de vos amis qui se promenait par là. Il monte respectueusement à bord, salue plus respectueusement l’équipage, le blâme un peu, vous plaint beaucoup, vous conseille respectueusement, et de plaintes en conseils vous jette droit à la côte, toujours respectueusement. — Ne criez pas, ne tirez pas le canon d’alarme ; car des rires et des huées répondraient seuls à vos signaux de détresse, et, loin de vous secourir, chaque voile s’éloignera en disant : « C’est un mari qui sombre, laissons aller. »

Et penser que les trois quarts de ces misérables étaient comme vous hier, et que l’autre quart vous ressemblera demain !

III
dernière supplication.

Encore une fois, très-précieux, très-illustres et très-chevalereux gens de bien, comme vous salue Rabelais, au nom de vos pères passés,