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de notre temps par des auteurs dont on doit justement admirer le talent merveilleux. Malheureusement, exécutés sans ensemble et souvent sans but sérieux, ces travaux devaient être sans résultat pour la science, comme pour le repos de l’humanité mâle. On peut faire ainsi de délicieux portraits, et bâtir de charmantes théories exceptionnelles, mais rien d’absolu, rien de complet, rien d’humanitaire enfin. — C’est que, comme l’a dit superbement l’autre jour un successeur de Platon, « l’Esprit est un habit, la Science est un paletot ; le premier peut ne servir qu’à son maître, mais il faut que l’autre aille à tout le monde. »

C’est donc par la science seulement qu’il nous sera peut-être donné un jour de deviner quelques-unes des énigmes actives ou parlées de ce sphinx si séduisant et si redoutable. Mais depuis que les sociétés savantes se sacrifient au bonheur du monde, jamais une seule, hélas ! n’a osé, comme Œdipe, se dévouer pour le salut de tous ; non, pas même l’Université de France, la fille aînée de nos rois ! Et pourtant, en sa qualité de vieille fille, cela devait lui aller comme une médisance. — C’est par une modeste résignation, disent les défenseurs des académies ; résignation tant que vous voudrez, mais, à ce compte-là, les huîtres aussi sont modestement résignées.

Si les hommes d’une seule génération, d’une seule ville, d’un seul quartier même, voulaient pourtant s’entendre et se confesser loyalement les uns les autres, que de soudaines clartés viendraient illuminer le brouillard où nous nous heurtons tous jalousement sans nous reconnaître ! que de câlineries inquiètes, que de joies fébriles, que de sensibleries boudeuses lues couramment à cœur ouvert !

proposition.

Supposons, par exemple, une mairie, ce qui n’exige pas une imagination ardente, et dans cette mairie un immense registre tenu en partie double, moitié par les maris de l’arrondissement, moitié par leurs amis. Sur le recto, les premiers inscriraient, chaque jour, tous les conseils aigres-doux, toutes les gracieuses sollicitudes, tous les caprices, toutes les toilettes, et surtout les vertus subites de leurs fidèles et douces campagnes ; puis, en regard, les amis viendraient expliquer et commenter à leur tour le texte primitif. On pourrait être à la fois ami d’un côté et mari de l’autre. — Il est bien entendu que la plus inviolable discrétion serait gardée des deux parts, et que ces précieuses chroniques conjugales paraîtraient sans noms d’auteurs.