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Tartufe ! — Mais quel piteux hypocrite, bon Dieu ! — Un pauvre hère qui commence par se cacher deux actes durant, tant il a peur de se trahir ! — un fourbe rampant, honteux, mielleux, dont l’habit sombre, la voix sombre, l’œil sombre, la démarche sombre, disent de trente pas et à tout venant : Défiez-vous de moi, car je suis un grand fourbe ! — un trompeur qui ne trompe ni Elmire, ni Valère, ni Mariane, ni Dorine, ni personne enfin, sauf un niais ; — un séducteur qui prêche au lieu d’aimer, et cela près d’une femme de trente ans, et la femme de son ami encore ! — deux circonstances qui, pour le dire à sa honte, rendaient sa tentative l’alpha de la séduction ; — un plat gredin, qu’au dénoûment chacun bafoue et qu’on jette dehors. Ne voilà-t-il pas vraiment un héros dont nous devons être bien fiers ! Oh ! baissons la tête.

Maintenant, voyez Célimène : — toujours souriante, toujours charmante, toujours aimée, elle se joue de tout le monde, sans sermons, sans maximes, sans tirades, et presque sans le savoir. Dans ce contraste, Molière a été profond et vrai comme toujours. Il a dit aux hommes en leur montrant Tartufe : Voilà comme vous êtes vrais quand vous trompez ; et aux femmes en leur montrant Célimène : Voilà comme vous trompez quand vous êtes vraies.

Eh quoi ! vont s’écrier ici les hommes, en sommes-nous donc tellement réduits à la franchise, que nous ne puissions mentir un peu aussi ? — Mais, mon Dieu ! maris que vous êtes, il n’est pas question de cela, et vous restez les maîtres de tout dire, excepté cependant de vous dire les maîtres. Il s’agit de savoir si vous êtes chaque jour victimes de la dissimulation féminine, oui ou non ; et c’est oui. Or, nier cette royauté est une faute d’autant plus grave, que tout pouvoir contesté en est plus rigoureux.

Mais que faire alors ? demandera le côté de la barbe ; faut-il nous couvrir la tête de cendres, et gémir dans notre abaissement jusqu’à la consommation des siècles et des femmes ? Non, certes ; il faut au contraire affermir tout notre cœur et rassembler tout notre courage ; mais ce cœur, nous devons le remplir d’un impitoyable dédain, mais ce courage, nous devons le dépenser en patience. Ce qu’il faut enfin, c’est que tous les hommes de sagesse, d’esprit et de science, s’unissent pour étudier lentement et sans relâche le grand mystère de la dissimulation féminine. Toutes les cartes marines et toutes les observations astronomiques n’empêchent pas, il est vrai, un vaisseau de sombrer ; mais le capitaine sait