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duit. Il bat la mesure tout en causant, et lorsqu’on passe devant lui il élève la voix et dit tout haut : « Comment va l’amiral ? » Sa femme est à deux pas de lui, jouant de l’éventail et parlant italien à deux jeunes bruns aux yeux creux, à la moustache effilée, sur l’habit desquels une bijouterie douteuse s’étale coquettement. Ces deux jeunes méridionaux ont du coiffeur, du chevalier d’industrie. Peignés comme des domestiques, trop hardis dans leur galanterie, ils chuchotent à l’oreille de la dame en lui regardant l’épaule, et la dame est ravie d’être traitée comme une fille par ces étrangers en carton doré. Ces libertés d’allures l’enchantent. Avec elle on est entre hommes. Elle est femme politique sans doute. Ses gestes sont saccadés ; hardiment, elle dégage ses épaules de son corsage, qui la gêne pourtant peu. Elle regarde les hommes en face, leur rit au nez sans façon, et, de temps en temps, un mot d’argot qu’elle a laissé dire devant elle se glisse dans sa conversation. Est-ce la maîtresse de ces gens aux moustaches noires ? On le croirait aux chuchotements confidentiels qu’ils échangent, aux rires bruyants et intimes qu’ils se lancent à bout portant en se regardant dans le blanc des yeux. Détrompez-vous, cette femme est la plus honnête du monde. Épouse dévouée, quoiqu’en public elle affecte de porter les culottes, elle travaille pour son mari ; c’est à elle qu’il doit d’être député, à elle qu’il doit son ruban rouge ; à l’heure qu’il est, elle travaille sa rosette. Les deux étrangers, qu’elle appelle négligemment il signor comto ou bien caro mio, sont pour elle ce que sont pour les pharmaciens les bocaux verts et bleus qu’ils mettent à leur devanture ; ça ne sert à rien, mais ça meuble et surtout ça tire l’œil.

Peste ! que voilà un petit homme qui court vite ! C’est le monsieur qui cherche quelqu’un. Actif, vif, remuant, les yeux ouverts, la bouche entr’ouverte et prête au sourire, il pose visiblement pour l’homme qui va beaucoup dans le monde. Son habit ne le gêne pas, il n’est point intimidé. Le bal, c’est son élément, il se faufile, coudoie les gens, passe entre deux femmes qui causent et dit pardon en se débarrassant de son pince-nez par une petite grimace et un effort du nez, il n’y met pas la main. Un maître de maison ne court pas avec plus d’aisance sur ses propres tapis qu’il ne le fait sur ceux de M. le Préfet. Il est préoccupé, regarde à droite et à gauche, sourit en passant, lance des poignées de main. Tous les gens qu’il rencontre sont des amis intimes.

« Vous allez bien ? — Pas mal, merci. — Je me sauve, je cherche quelqu’un. — Jolie fête. — Oui, très-jolie, comme a l’ordinaire ! — Je