Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 2.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’escalier était rempli de monde : c’était un chaos d’épaules nues, d’habits noirs, de têtes chauves, de coiffures, de diamants, de dentelles s’agitant lentement. Les jupes de satin traînaient par derrière sur le tapis rouge de l’escalier, les bottes vernies criaient coquettement, et au milieu du frou-frou de la soie et des chuchotements contenus, les éclats de l’orchestre arrivaient par bouffées. On aura beau dire, vois-tu, c’est une chose charmante que cet escalier à gravir en toilette de bal, au milieu des fleurs et de ces deux haies de valets et de cavaliers — ça flatte — seulement, c’est très-drôle, les valets me faisaient l’effet de sergents de ville sans moustaches. Tous très-beaux, mais pas assez frisés. — Moi, j’aime les domestiques avec les favoris en rouleau, le col roide, l’air anglais… enfin, j’ai mes idées là-dessus. Mais je continue. Au haut de l’escalier, nous entrons dans les salons ; une bouffée de chaleur… odorante vous frappe en plein visage. J’aperçois, comme à travers une gaze jaunâtre, une fourmilière de têtes, et au-dessus un horizon, noyé dans la vapeur, de voûtes, de colonnes dorées, de lustres — un rêve, ma chère ! Je me pinçais pour ne pas avoir l’air surprise, mais, au fond, j’étais émerveillée.

Tout à coup, les personnes qui étaient devant nous s’inclinent, puis tournent à droite, et nous nous trouvons en face d’un monsieur et d’une dame qui nous souriaient avec une bienveillance charmante.

« Le Préfet, » me dit Paul à l’oreille. — Je n’ai que le temps de m’incliner de mon mieux, mais ce salut-là demande à être un peu préparé et j’ai bien vu à la façon dont les autres l’ont exécuté ensuite qu’il n’était point commode de le faire convenablement. Ce qui serait difficile pour moi, si j’étais à la place du Préfet, ce serait de ne point éclater de rire au nez de certains de mes invités. Il faut croire que le caractère se peint dans le salut, car pas un ne se ressemble ; ceux-ci s’inclinent trop bas et semblent demander d’avance l’indulgence pour les nombreuses glaces qu’ils vont absorber. Ceux-là saluent d’une façon cavalière ; ils sont chez eux et ont pris à la lettre la carte d’invitation où monsieur le Préfet les prie de lui faire l’honneur, etc. Il en est d’autres qui saluent avec précipitation en se cachant derrière quelqu’un. On devine leur émotion ; ils ont dû songer à cette formalité en dînant. Les gros messieurs saluent de la tête, les maigres saluent du dos, et tout le monde, après avoir rendu ses devoirs aux autorités, paraît grandi d’un pouce.

À quelque distance du maître de la maison, il y avait un grand