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l’épouse. — Dans les commencements, nous étions toujours à nous contrarier ; mais maintenant nous nous entendons à merveille. Adolphe ne fait plus que ce qui lui plaît, il ne se gêne point, je ne lui demande plus ni où il va ni ce qu’il a vu. L’indulgence, ma chère amie, là est le grand secret du bonheur. Vous en êtes encore aux petits taquinages, aux jalousies à faux, aux brouilles, aux coups d’épingle. À quoi cela sert-il ? Notre vie, à nous autres femmes, est bien courte. Qu’avons-nous ? Dix belles années ; pourquoi les meubler d’ennui ? J’étais comme vous ; mais, un beau jour, j’ai connu Mme Foullepointe, une femme charmante, qui m’a éclairée et m’a enseigné la manière de rendre un homme heureux… Depuis, Adolphe a changé du tout au tout : il est devenu ravissant. Il est le premier à me dire avec inquiétude, avec effroi même, quand je vais au spectacle et que sept heures nous trouvent seuls ici : « Ferdinand va venir te prendre, n’est-ce pas ?… N’est-ce pas, Ferdinand ?

le ferdinand. — Nous sommes les meilleurs cousins du monde.

la jeune affligée. — En viendrais-je donc là ?…

le ferdinand. — Ah ! vous êtes bien jolie, madame, et rien ne vous sera plus facile.

l’épouse, irritée. — Eh bien ! adieu, ma petite. (La jeune affligée sort.) Ferdinand, vous me payerez ce mot-là.

l’époux, sur le boulevard Italien. — Mon cher (il tient M. de Fischtaminel par le bouton du paletot), vous en êtes encore à croire que le mariage est basé sur la passion. Les femmes peuvent, à la rigueur, aimer un seul homme, mais nous autres !… Mon Dieu, la Société ne peut pas dompter la Nature. Tenez, le mieux, en ménage, est d’avoir l’un pour l’autre une indulgence plénière. Je suis le mari le plus heureux du monde. Caroline est une amie dévouée, elle me sacrifierait tout, jusqu’à mon cousin Ferdinand s’il le fallait… oui, vous riez, elle est prête à tout faire pour moi. Vous vous entortillez encore dans les ébouriffantes idées d’ordre social. La vie ne se recommence pas, il faut la bourrer de plaisir. Voici deux ans qu’il ne s’est dit entre Caroline et moi le moindre petit mot aigre. J’ai dans Caroline un camarade avec qui je puis tout dire, et qui saurait me consoler dans les grandes circonstances. Il n’y a pas entre nous la moindre tromperie, et nous savons à quoi nous en tenir. Nos rapprochements sont des vengeances, comprenez-vous ? Nous avons ainsi changé nos devoirs en plaisirs. Nous sommes souvent plus heureux alors que dans cette fadasse saison appelée la lune de miel. Ma femme me dit quelquefois : « Je suis grognon, laisse-moi, va-t’en. » L’orage