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Enfin, à force d’épier ce charmant ménage, elle voit monsieur et madame ouvrant la fenêtre, et légèrement, pressés l’un contre l’autre, accoudés au balcon, y respirant l’air du soir. Caroline se donne des maux de nerfs en étudiant sur les rideaux, un soir que l’on oublie de fermer les persiennes, les ombres de ces deux enfants se combattant, dessinant des fantasmagories explicables ou inexplicables. Souvent la jeune femme, assise, mélancolique et rêveuse, attend l’époux absent, elle entend le pas d’un cheval, le bruit d’un cabriolet au bout de la rue, elle s’élance de son divan, et, d’après son mouvement, il est facile de voir qu’elle s’écrie : — C’est lui !…

« Comme ils s’aiment ! » se dit Caroline.

À force de maux de nerfs, Caroline arrive à concevoir un plan excessivement ingénieux : elle invente de se servir de ce bonheur conjugal comme d’un topique pour stimuler Adolphe. C’est une idée assez dépravée ; mais l’intention de Caroline sanctifie tout !

« Adolphe, dit-elle enfin, nous avons pour voisine en face une femme charmante, une petite brune…

— Oui, réplique Adolphe, je la connais. C’est une amie de Mme Fischtaminel, Mme Foullepointe, la femme d’un agent de change, un homme charmant, un bon enfant, et qui aime sa femme, il en est fou ! Tiens… il a son cabinet, ses bureaux, sa caisse, dans la cour, et l’appartement sur le devant est celui de madame. Je ne connais pas de ménage plus heureux. Foullepointe parle de son bonheur partout, même à la Bourse, il en est ennuyeux.

— Eh bien, fais-moi donc le plaisir de me présenter M. et Mme Foullepointe. Ma foi, je serais enchantée de savoir comment elle s’y prend pour se faire si bien aimer de son mari… Y a-t-il longtemps qu’ils sont mariés ?

— Absolument comme nous, depuis cinq ans…

— Adolphe, mon ami, j’en meurs d’envie ! Oh ! lie-nous toutes les deux. Suis-je aussi bien qu’elle ?

— Ma foi !… je vous rencontrerais au bal de l’Opéra, tu ne serais pas ma femme, eh bien, j’hésiterais…

— Tu es gentil aujourd’hui. N’oublie pas de les inviter à dîner pour samedi prochain.

— Ce sera fait ce soir. Foullepointe et moi nous nous voyons souvent à la Bourse.

— Enfin, se dit Caroline, cette femme me dira sans doute quels sont ses moyens d’action. »