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heure à s’habiller en cherchant ses affaires une à une, en dépliant beaucoup de choses avant d’en trouver une qui soit irréprochable. Mais Caroline est très-bien mise. Madame a de jolis chapeaux, des bottines en velours, des mantilles. Elle a pris son parti, elle administre en vertu de ce principe : Charité bien ordonnée commence par elle-même. Quand Adolphe se plaint du contraste entre son dénûment et la splendeur de Caroline, Caroline lui dit : « Mais tu m’as grondée de ne rien m’acheter !… »

Un échange de plaisanteries plus ou moins aigres commence à s’établir alors entre les époux. Caroline, un soir, se fait charmante, afin de glisser l’aveu d’un déficit assez considérable, absolument comme quand le Ministère se livre a l’éloge des contribuables et se met a vanter la grandeur du pays en accouchant d’un petit projet de loi qui demande des crédits supplémentaires. Il y a cette similitude que tout cela se fait dans la Chambre, en gouvernement comme en ménage. Il en ressort cette vérité profonde que le système constitutionnel est infiniment plus coûteux que le système monarchique. Pour une nation comme pour un ménage, c’est le gouvernement du juste-milieu, de la médiocrité, des chipoteries, etc.

Adolphe, éclairé par ses misères passées, attend une occasion d’éclater, et Caroline s’endort dans une trompeuse sécurité.

Comment arrive la querelle ? sait-on jamais quel courant électrique a décidé l’avalanche ou la révolution ? Elle arrive à propos de tout et à propos de rien. Mais enfin, Adolphe, après un certain temps qui reste à déterminer par le bilan de chaque ménage, au milieu d’une discussion, lâche ce mot fatal : — Quand j’étais garçon !…

Le temps de garçon est relativement à la femme ce qu’est le : — Mon pauvre défunt ! relativement au nouveau mari d’une veuve. Ces deux coups de langue font des blessures qui ne se cicatrisent jamais complètement.

Et alors Adolphe de continuer comme le général Bonaparte parlant aux Cinq-Cents : — Nous sommes sur un volcan ! — Le ménage n’a plus de gouvernement, — l’heure de prendre un parti est arrivée. — Tu parles de bonheur, Caroline, tu l’as compromis, — tu l’as mis en question par tes exigences, tu as violé le code civil en t’immisçant dans la discussion des affaires, — tu as attenté au pouvoir conjugal. — Il faut réformer notre intérieur.

Caroline ne crie pas comme les Cinq-Cents : À bas le dictateur ! on ne crie jamais quand on est sûr de l’abattre.

« Quand j’étais garçon, je n’avais que des chaussures neuves ! je