Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 2.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lève ou s’écarte, et la jeune femme qui est en scène se sauve dans la coulisse.

« Eh bien ! qu’est-ce que vous faites donc, ma chère ?

— Mais je ne savais pas qu’il y aurait tant de monde !… Je suis trop honteuse… je n’oserai jamais.

— Voyons, voyons, chère belle, un peu de courage ! ils ne vous mangeront pas. Vous êtes si jolie ! ce rôle vous va si bien ! Vous allez voir comme vous serez applaudie. »

La jeune femme fait deux pas en avant et trois pas en arrière.

« Je n’oserai jamais. »

Toutes les influences livrent alors un assaut à la timidité de la Mars des salons. Les bonnes amies lui parlent avec des caresses ineffables ; les maris et les frères lui parlent avec autorité.

« Il ne fallait pas te charger du rôle. Maintenant, il n’y a plus moyen de reculer ; tu ne peux pas faire une pareille impolitesse à quatre cents personnes !… Allons ! allons !

— Allez, chère belle… Tenez, repassez votre monologue :

« Quel peut être ce jeune homme que je rencontre partout sur mes pas, au bal, au spectacle, aux Champs-Elysées ? Son attitude est aussi tendre que respectueuse… Si c’était… Oh ! quelle idée ! chassons ces folles pensées ! (Après un silence.) Malgré moi, son souvenir me préoccupe… Il est bien… Il a les cheveux noirs, et je ne les crois pas teints… Grand Dieu ! s’ils étaient teints ! — Mais que m’importe après tout ! je suis bien folle de songer ainsi à cet inconnu, que sans doute je ne reverrai jamais. — Grand Dieu ! c’est lui !… » (Entrée de Saint-Val.)

Vaincue par les instances de son monde, la jeune femme est entrée en scène, et rougissante, balbutiante, elle a récité, en tâtonnant, la prose ci-dessus, qui est le premier essai d’un clerc de notaire. — Le talent de la comédienne de société peut généralement se comparer à une certaine serinette dont Grassot raconte ainsi l’histoire. — Grassot avait une tante (plaignons celle-ci) ; la tante mourut, laissant à Grassot pour tout héritage une serinette. — Grassot essaya de moudre un air sur ce petit meuble, comme dit Duvert ; il n’en tira qu’un sifflet aigu et prolongé comme celui que rend un orgue, au moment où l’artiste ambulant s’interrompt pour ramasser deux sous. — Les tentatives réitérées de Grassot n’aboutirent pas à un meilleur résultat. Alors, Grassot, qui est plein d’imagination, alla consulter un facteur d’instruments. — Celui-ci, après avoir essayé la