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parisienne, qu’une boîte de chocolat serait une petite infamie, si elle sortait de l’officine d’un chocolatier d’occasion. — On prétend que des roués se procurent des boîtes portant la marque des premiers faiseurs et y introduisent en fraude des bonbons de rencontre ; — ce que je sais, c’est qu’il y a des gens très-peu scrupuleux, qui ne se gênent pas pour empoisonner leur prochain en manière d’étrennes : — quelquefois même il y a calcul. — Arvers, ce garçon de tant d’esprit, mort depuis quelques années, était avare et ne s’en cachait pas. Les obligations du jour de l’an l’exaspéraient, et il racontait lui-même comment il avisait le plus possible à s’en exonérer. — Son procédé consistait à donner aux femmes des bonbons perfides et canailles. — Le 3 janvier, il allait prendre des informations sur les résultats de sa galanterie ; — il était reçu invariablement par une femme de chambre qui, d’un air piteux, lui disait : « Madame est au lit ; en rentrant du spectacle, elle a trouvé les bonbons de monsieur, et, depuis ce temps, elle a des coliques insensées. — Bon ! se disait Arvers, mes bonbons ont fait de l’effet ; en voilà encore une qui ne me demandera rien l’année prochaine. »

Une chose très-remarquable dans cet usage des étrennes, c’est que tout le monde en souffre et que tout le monde contribue à le maintenir. — Sans parler des cadeaux, prenons, par exemple, cette politesse du petit morceau de carton que vous déposez tous les ans chez le concierge de votre cher ami. — Celui-ci affecte le plus profond dédain pour cette attention à trois francs le cent ; mais, du jour où vous essayez de vous y soustraire, vous l’entendez dire d’un air pointu : « Un tel ne sait pas vivre : il ne m’a pas seulement remis sa carte au jour de l’an ! » Ce simple oubli entraîne des refroidissements dans les relations et dans les protections. On ne vous sait aucun gré de ce que vous faites ; on vous sait le plus mauvais gré de ce que vous ne faites pas.

Il est certain qu’il faut être bien mal élevé pour se dispenser d’une politesse qui, aujourd’hui, se distribue dans tout Paris, à raison d’un centime la politesse. — Reste les visites, et, ici, il me semble que l’industrie est bien arriérée. La compagnie Bidault ne pourrait-elle entretenir une escouade de complimenteurs bien mis, pas trop crottés, et d’une physionomie appétissante, qui, moyennant cinquante centimes, se chargeraient d’aller embrasser les grands-parents ? — C’est un perfectionnement que je propose :

Entrée du complimenteur :

« Bonjour, ma tante ! comment vous portez-vous ? Je suis heureux,