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Car les saints monuments ne restent dans ce lieu
Que pour dire : Autrefois il y avait un Dieu.

Là, tant d’autels debout ont roulé de leurs bases,
Tant d’astres ont pâli sans achever leurs phases,
Tant de cultes naissants sont tombés sans mûrir,
Tant de grandes vertus, là, s’en vinrent pourrir,
Tant de chars meurtriers creusèrent leur ornière,
Tant de pouvoirs honteux rougirent la poussière,
De révolutions au vol sombre et puissant
Crevèrent coup sur coup leurs nuages de sang,
Que l’homme, ne sachant où rattacher sa vie,
Au seul amour de l’or se livre avec furie.

Misère ! après mille ans de bouleversements,
De secousses sans nombre et de vains errements,
De trônes abolis, de royautés superbes
Dans les sables perdus, et couchés dans les herbes,
Le Temps, ce vieux coureur, ce vieillard sans pitié,
Qui va, par toute terre, écrasant sous le pié
Les immenses cités regorgeantes de vices ;
Le Temps, qui balaya Rome et ses immondices,
Retrouve encore, après deux mille ans de chemin,
Un abîme aussi noir que le cuvier romain.

Toujours même fracas, toujours même délire
Même foule de mains à partager l’empire,
Toujours même troupeau de pâles sénateurs,
Même flot d’intrigants et de vils corrupteurs,
Même dérision du prêtre et des oracles,
Même appétit des jeux, même soif des spectacles,
Toujours même impudeur, même luxe effronté,
En chair vive et en os même immoralité ;
Même débordement, mêmes crimes énormes,
Moins l’air de l’Italie et la beauté des formes.

La race de Paris, c’est le pâle voyou
Au corps chétif au teint jaune comme un vieux sou ;
C’est cet enfant criard que l’on voit à toute heure
Paresseux et flânant, et loin de sa demeure
Battant les maigres chiens, ou le long des grands murs