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— Et elle saura dit la jeune fille, que je n’aurais pas choisi une autre fin. »

Quant aux autres, ils poussaient des cris de détresse si lamentable, et leur douleur était si incohérente, qu’on ne pouvait en saisir le sens.

« Silence ! » s’écria l’huissier.

VIII

« Que se passe-t-il donc là-haut ? dit à une ombre, dont le maintien austère le frappa, Satan, qui depuis quelques instants s’était borné à faire quelques mouvements de tête suivant que ce qu’il voyait avait ou n’avait pas piqué sa curiosité, et que veut dire ce sombre visage ?

— Ce qui se passe là-haut est fait pour te plaire, répondit celui à qui s’adressait cette question : le mensonge, la sottise et l’avarice se disputent le monde ; les braves gens ne savent que faire de leur bravoure ; l’intérêt personnel a tout envahi ; où la médiocrité suffit, le mérite s’efface ; l’indifférence en matière politique, c’est-à-dire l’oubli de la patrie, est vantée, prêchée, récompensée, ordonnée ; les mots d’honneur et de vertu sont peut-être encore dans quelques bouches, mais, laissez faire, et ils ne seront bientôt plus nulle part — que dans les dictionnaires et ma foi, ce qu’on peut donc faire de mieux c’est de mourir en souhaitant la postérité des temps meilleurs.

— Vraiment ! dit Satan tu as raison, l’ami, voici de bonnes nouvelles.

— Cette ombre se trompe, nous vivons sous un prince ami de la paix, dit un autre, et tout bien vient de là. Si l’on s’insulte encore, on ne se bat plus du moins ; les arts fleurissent à loisir, la prospérité du pays s’accroît tous les jours les emplois publics sont donnés au plus digne, le fils succède au père, le neveu est placé par son oncle, tout travail a son salaire, chaque chose a son prix connu et fait d’avance, tout s’acquiert, tout se paye, le présent est d’argent et l’avenir est d’or.

— Très-bien, dit Satan d’une voix enjouée ; si tu veux jamais un emploi dans l’enfer, fais-le-moi savoir ; les places que tu as perdues là-haut, tu les retrouveras ici. »

Et s’adressant alors à un troisième « Et toi, que me diras-tu ?