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ont aimé tour à tour l’ancien baryton en plein vent. Léocadie lui est restée fidèle à sa façon.

« Quand nous serons par trop vieux, Hector et moi, m’écrivait-elle il y a quelques mois, nous nous retirerons à la campagne. Nous nous ferons fermiers et nous doterons des rosières. »

Quant à René, il s’est marié, il a eu des enfants, il a été député influent et éloquent sous le règne de Louis-Philippe, et aujourd’hui il n’est plus rien. Il a renoncé à la vie publique et vit heureux de la vie de famille. Il gâte sa femme et ses enfants qui le lui rendent bien. La dernière fois que je l’ai vu, le plus jeune de ses petits garçons, mettant son petit doigt sur la cicatrice qui lui est restée à la tempe, lui demanda qui avait fait « ce bobo-là à son petit père. »

Au lieu de lui répondre, René l’embrassa.

« Quand on pense, dit-il, que pour les gens qui sont venus au monde riches et bien portants comme moi le bonheur serait si facile, et que les trois quarts des fils de famille ne savent ni le saisir ni le garder, c’est à se demander à quoi sert l’argent ! J’ai envie de me ruiner sur mes vieux jours pour faire le bonheur de mes mioches ; je les forcerais ainsi à travailler. Entre la bohème riche et la bohème pauvre, entre la vie de M. Hector autrefois et celle de M. René avant sa première mort, je serais bien embarrasse de faire un choix. La raison n’était à coup sûr ni d’un côté ni de l’autre, mais les circonstances atténuantes, j’en ai bien peur, se trouvaient plutôt du côté du pauvre cabotin que du côté du riche héritier. »

p.-j. stahl.