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traînement fut tel qu’il se communiqua à la salle tout entière. Mille mains électrisées par les miennes répondirent bientôt à mes bravos par des bravos frénétiques. Un acte, deux actes, et puis le reste de la pièce, se jouèrent ; trois rappels successifs firent de cette représentation un triomphe pour l’artiste inspirée. De la scène, où elle planait sur son public affolé, son regard parvint à me dire qu’elle sentait que ce triomphe elle me le devait en partie. Le rideau tomba. Je demeurais à ma place, comme plongé dans une sorte d’extase. J’étais, à la lettre, foudroyé. S’il n’eût fallu que traverser des flammes pour aller arracher Mme d’Hervé au trop heureux Bocage, je l’eusse fait. Mais il fallait traverser des corridors sombres, des escaliers bizarres, c’était une autre affaire. Je ne sais pas encore par où je passai, mais je me trouvai tout à coup aux pieds de cette admirable créature et dans sa loge…

— Tu es bien là, dis-je à René, en lui demandant la permission de l’interrompre, restes-y un instant. La rue Saint-Louis-d’Antin m’irait assez ; voici un écriteau : Petit appartement de garçon à louer, sur le derrière ; c’est mon affaire. Laisse-moi monter. La maison me convient, et si l’appartement me plaît, je te ferai appeler avant de conclure, pour avoir ton avis.

— Ne sois pas trop long, me dit René ; puisque j’ai commencé, il faut que tu saches tout. »

V

Je montai et je redescendis sans avoir rien fait : l’appartement était sombre, sans air, impossible. Le portier était aimable : c’était beaucoup, mais ce n’était pas assez.

« C’est à recommencer, dis-je à René.

— Quoi ! vraiment, tu veux…

— Tu veux quoi ? lui dis-je, voyant qu’il ne m’avait pas compris.

— Tu veux que je recommence l’histoire de Léocadie ?

— Non, fichtre pas ! je ne veux recommencer qu’à chercher des appartements ; quant à ton histoire, je n’en ai rien perdu : tu étais aux pieds de Mme d’Hervé, qu’est-ce que tu as bien pu y faire ?

— J’ai été droit au but, me répondit René. Je n’avais pas trop préjugé de cette nature d’élite. Mon cœur m’avait dit que j’allais me trouver en présence d’une femme supérieure à laquelle tout ce qui eût été détour