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UNE BONNE FORTUNE PARISIENNE

histoire d’un appartement de garçon à louer
racontée à des amis par un avocat
par p.-j. stahl
I

Quand du collège, où j’avais fréquenté les Grecs et les Romains, j’eus à faire mon premier saut dans le monde, je trouvai sur le seuil, m’attendant au passage, un de mes anciens, un des héros de la grande cour, un vieux de vingt ans qui m’avait laissé sur les bancs à faire ma philosophie, l’année précédente, pour précipiter d’autant son entrée dans l’univers parisien. Mon ami René avait toute une année scolaire, un siècle d’avance sur moi : il se fit fort de terminer promptement mon éducation, de m’apprendre ce que je n’aurais jamais appris au collège, disait-il, de me faire enfin et bientôt connaître la vie — dans toutes ses profondeurs !

J’étais timide alors…

L’auditoire toussa.

Plus timide que vous n’êtes enrhumés, mes amis, reprit l’avocat ; le vrai courage commence toujours par la peur.

« Eh quoi ! dis-je à René, tu connais des dames et il faudra que j’en connaisse aussi ! Je n’oserai jamais. J’aime mieux doubler ma philosophie. »

Et mon ami de rire ! mais quel rire ! grand Dieu ! celui de Méphistophélès combiné avec le sourire fatal de don Juan, ni plus ni moins ! et encore ces personnages n’étaient-ils que de candides enfants à côté du sombre René.

À quarante ans on est rarement blasé, mais à vingt ans on l’est toujours. René l’était, cela va sans dire.