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madame d. — Eh bien, alors, pourquoi criez-vous par-dessus les toits que je vous coupe la parole ? Ça me rappelle un mot charmant que j’ai lu… où donc ai-je lu cela ?… dans un roman d’About… ou de Dumas fils… je ne sais plus au juste… ou…

le docteur p. — Ou de Veuillot,

madame d. — C’est léger, ce que vous dites là ! Quand le docteur plaisante, on dirait toujours qu’il casse un meuble. Qu’est-ce que ça veut dire, ou de Veuillot ? Parbleu, tout le monde sait que vous êtes libre penseur. Heureusement que vous guérissez vos malades, ça vous sauve. Ah ! j’aurais voulu que vous entendissiez ce que l’abbé Gélon a dit aujourd’hui au mariage de Louise à propos de l’affaire Renan. Ça vous aurait confondu ; moi je n’ai pu m’empêcher de rire, parce qu’à ce moment-là le beau-père s’est essuyé les yeux. Est-ce qu’il serait compromis là dedans ? Ça m’étonnerait ; il a l’air respectable, décoré et puis riche, car il a du foin dans ses bottes, ce vieillard ! Je trouve même qu’il devrait mettre son foin ailleurs, cela lui fait un pied énorme. Il a une démarche d’éléphant, le beau-père.

madame. — Que voulez-vous qu’il fasse de son foin ?

madame d. — Je n’en sais rien, moi, qu’il le mange ; ah ! ah ! ah !

monsieur a. — Personne n’échappe à vos spirituelles railleries.

madame d. — Quand je vous disais que M. A… allait me sauter à la gorge. Eh bien, voyons, continuez, je me tais. (Regardant à la pendule.) Six heures, ah ! mon Dieu ! je me sauve. Quand on entend causer avec esprit (elle s’incline en souriant vers M. A.), le temps passe avec une rapidité ! Adieu, ma belle ; docteur, sans rancune. Tiens, je ne t’ai pas raconté la toilette de Louise, moi qui venais pour cela. Ça ne fait rien, le marié est richement laid… tu ris ? je te le jure sur la tête du docteur… vous permettez docteur ? que je préférerais mille fois mieux épouser le beau-père, il a de la fraîcheur. Adieu, je me sauve, (Elle sort.)

La pendule sonne six heures et demie. Toutes ces dames se lèvent et au milieu du frou-frou des robes, on entend dans les confusions : « Adieu, ma belle ! — Que je t’embrasse. — À jeudi. — Comment donc ? — Mais si, mignonne. Etc., etc.

— Tout cela est amusant, dit le docteur dans l’escalier, mais je manquerai ma consultation. La conversation des femmes : un vrai verre de champagne, une goutte de vin et trois pieds de mousse ! »

gustave droz.