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c’est une lutte entre l’intelligence et l’habitude, un combat entre la nature primitive et la nature acquise.

— Diable ! voilà qui est diablement subtil.

— Écoutez-moi bien : on n’arrive pas au talent, à la puissance, au succès de Débora sans avoir en soi une intelligence large, féconde capable de s’assimiler avec toutes les grandes idées.

— Cela est incontestable.

— Mais on n’a pas vécu dans la misère et la pauvreté, dans la mendicité surtout, sans y avoir pris des habitudes d’hypocrisie qui, lorsque le mendiant a cessé sa comédie, se changent en joies pétulantes, grossières, railleuses, et qui crachent sur le bienfaiteur qu’on a surpris par des plaintes jouées.

— Cela se peut.

— Eh bien ! mon cher ami, lorsque Débora est sur les planches, la hauteur de ses idées va de pair avec les idées qu’elle exprime ; elle se plaît à ces jeux du théâtre parce que ce sont franchement des jeux de théâtre, et elle donne au public ce que le public lui demande. Mais lorsqu’elle a dépouillé la robe de soie et déposé la couronne de reine, elle ne retourne pas à sa liberté de saltimbanque, à ses cris, à ses rires extravagants, elle rentre, malheureusement pour elle, dans une autre comédie. Son salon est ouvert, des hommes élégants l’occupent, des femmes aux manières bien apprises s’y trouvent. La Débora est fière, la Débora vaut à elle seule toutes ces femmes, et elle veut le leur montrer. Après avoir tenu le théâtre en reine, elle tient son salon en grande dame : elle y cause, elle y flatte, elle y raille… jusqu’au moment où, fatiguée de cette nouvelle scène, de ce nouveau public, elle s’échappe pour courir dans une petite chambre cachée, où la souveraine, qui tenait tout le monde en respect, se met à crier à son amant qui la suit :

« — Ça m’embête ! »

« Il veut faire une remontrance.

« Elle se met en fureur, mais non point dans une de ces fureurs polies que l’éducation nous enseigne ; elle envoie paître son amant, elle jure, elle sacre, elle casse les meubles, et si une chambrière importune arrive, elle lui flanque un coup de pied ; elle appelle l’homme le plus élégant de France cornichon, de cette même voix qui chante d’or et de diamants : il se désole, elle le met à la porte, et pour peu qu’elle soit montée, elle soupe avec son cocher et trinque avec ses femmes de chambre.

— Impossible !