Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 1.djvu/120

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rien ne vous est plus facile que de plier votre aumône dans un papier, et de mettre sur l’adresse : À mademoiselle Bertin, rue de l’Éperon. J’ai changé de nom depuis que je travaille dans les magasins, car le mien est celui de ma mère. En sortant de chez vous, donnez cela à un commissionnaire. J’attendrai mercredi et jeudi, et je prierai avec ferveur pour que Dieu vous rende humain.

Il me vient à l’idée que vous ne croyez pas à tant de misère ; mais si vous me voyiez, vous seriez convaincu.

« Rougette. »

Si Eugène avait d’abord été touché en lisant ces lignes, son étonnement redoubla, on le pense bien, lorsqu’il vit la signature. Ainsi c’était cette même fille qui avait follement dépensé son argent en parties de plaisir, et imaginé ce souper ridicule raconté par mademoiselle Pinson, c’était elle que le malheur réduisait à cette souffrance et à une semblable prière. Tant d’imprévoyance et de folie semblait à Eugène un rêve incroyable. Mais point de doute, la signature était là ; et mademoiselle Pinson, dans le courant de la soirée, avait également prononcé le nom de guerre de son amie Rougette, devenue mademoiselle Bertin. Comment se trouvait-elle tout à coup abandonnée, sans secours, sans pain, presque sans asile ? Que faisaient ses amies de la veille, pendant qu’elle expirait peut-être dans quelque grenier de cette maison ? Et qu’était-ce que cette maison même où l’on pouvait mourir ainsi ?

Ce n’était pas le moment de faire des conjectures ; le plus pressé était de venir au secours de la faim. Eugène commença par entrer dans la boutique d’un restaurateur qui venait de s’ouvrir, et par acheter ce qu’il put y trouver. Cela fait, il s’achemina, suivi du garçon, vers le logis de Rougette ; mais il éprouvait de l’embarras à se présenter brusquement ainsi ; l’air de fierté qu’il avait trouvé à cette pauvre fille lui faisait craindre, sinon un refus, du moins un mouvement de vanité blessée ; comment lui avouer qu’il avait lu sa lettre ? Lorsqu’il fut arrivé devant la porte :

« Connaissez-vous, dit-il au garçon, une jeune personne qui demeure dans cette maison, et qui s’appelle mademoiselle Bertin ?

— Oh ! que oui, monsieur ! répondit le garçon. C’est nous qui