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et sept heures du soir venaient à peine de sonner, que ces deux femmes frappaient à la porte de l’étudiant, mademoiselle Zélia en robe courte, en brodequins gris et en bonnet à fleurs ; mademoiselle Pinson plus modeste, vêtue d’une robe noire qui ne la quittait pas, et qui lui donnait, disait-on, une sorte de petit air espagnol dont elle se montrait fort jalouse ; toutes deux ignoraient, on le pense bien, les secrets desseins de leur hôte.

Marcel n’avait pas fait la maladresse d’inviter Eugène d’avance ; il eût été trop sûr d’un refus de sa part. Ce fut seulement lorsque ces demoiselles eurent pris place à table, et après le premier verre vidé, qu’il demanda la permission de s’absenter quelques instants pour aller chercher un convive, et qu’il se dirigea vers la maison qu’habitait Eugène ; il le trouva, comme d’ordinaire, à son travail, seul, entouré de ses livres. Après quelques propos insignifiants, il commença à lui faire tout doucement ses reproches accoutumés, qu’il se fatiguait trop, qu’il avait tort de ne prendre aucune distraction, puis il lui proposa un tour de promenade. Eugène, un peu las, en effet, ayant étudié toute la journée, accepta ; les deux jeunes gens sortirent ensemble, et il ne fut pas difficile à Marcel, après quelques tours d’allée au Luxembourg, d’obliger son ami à entrer chez lui.

Les deux grisettes, restées seules, et ennuyées probablement d’attendre, avaient débuté par se mettre à l’aise ; elles avaient ôté leurs châles et leurs bonnets, et dansaient en chantant une contredanse, non sans faire de temps en temps honneur aux provisions, par manière d’essai. Les yeux déjà brillants et le visage animé, elles s’arrêtèrent joyeuses et un peu essoufflées, lorsque Eugène les salua d’un air à la fois timide et surpris. Attendu ses mœurs solitaires, il était à peine connu d’elles ; aussi l’eurent-elles bientôt dévisagé des pieds à la tête avec cette curiosité intrépide qui est le privilège de leur caste ; puis elles reprirent leur chanson et leur danse, comme si de rien n’était. Le nouveau venu, à demi déconcerté, faisait déjà quelques pas en arrière, songeant peut-être à la retraite, lorsque Marcel, ayant fermé la porte à double tour, jeta bruyamment la clef sur la table.

« Personne encore ! s’écria-t-il. Que font donc nos amis ? Mais n’importe, le sauvage nous appartient. Mesdemoiselles, je vous présente le plus vertueux jeune homme de France et de Navarre, qui désire depuis longtemps avoir l’honneur de faire votre connaissance, et qui est particulièrement grand admirateur de mademoiselle Pinson. »