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— Satan a parlé par ta bouche, femme. Je te remercie de tes paroles prophétiques. Et il lui jeta une pièce d’or. Tu as dit vrai, sans le savoir. George est au village où tout est en joie. Je n’ai pu supporter la vue de son bonheur, et en m’enfonçant dans les bois j’étais à maudire le jour qui vit naître en moi cet amour maudit, mon tourment, mon enfer, quand je heurtai du pied ton sale taudis. Tu as parlé ; j’ai compris. Malgré tout, le sort en est jeté. Je veux de la vengeance ! Qu’importe la peine du talion. Je veux une torture égale à celle que j’endure depuis si longtemps. Il y a une fatalité dans ma vie ! Qu’importe ! L’enfer aidant, je réussirai ; et il sortit en trébuchant comme un homme ivre. Rencontrant Plume d’aigle, il lui enjoignit de le suivre.

La nuit était venue couvrir de son manteau noir la forêt épaisse ; le fleuve, au loin, avait les grondements du géant furieux qui se débarrasse de ses chaînes ; sa grande voix allait troubler les oiseaux dans les mystérieuses profondeurs des bois. Le hibou, cet oiseau des nuits, criait perché sur un vieux hêtre mort, et la lune à l’horizon laissait filtrer de temps en temps un rayon de sa blanche lumière entre les saillies des nuages flottant dans l’espace.

Mélas et son compagnon marchèrent longtemps sous le couvert, le premier se tenait coi et le dernier se gardait bien de troubler le silence de son maître. Oui, c’était son maître. Depuis longtemps Mélas s’était fait de Plume-d’aigle un esclave assujetti à ses volontés. Arrivés dans un bosquet touffu, ils s’as-