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La vieille indienne tendit le bras vers Mélas, et de l’index elle lui fit signe de se taire.

Ce fut comme une fascination, Mélas retomba sur le lit sordide. Puis la sauvagesse continua :

Mais les voilà au sein de la réjouissance. L’heure de la couvée va arriver. Les voilà unis et prêts à bâtir le nouveau nid soyeux où bientôt naîtra un bel oisillon rose et adoré. — Mais que vois-je ? L’aigle planant au-dessus de cette réunion prête à célébrer la noce. Soudain un cri part de la foule assemblée… Du sang et des cris… et voilà l’aigle qui fend l’air ; il fuit là-bas, au-dessus de la mer immense et va s’abattre sur les côtes Nord qui seront son refuge.

La vieille sauvagesse venait de cesser de parler. Elle avait des sueurs aux tempes, et ses membres disloqués reprirent leur position normale en faisant entendre des grincements d’os et des nerfs en contact. Sa tête s’était levée et son œil lançait des gerbes d’étincelles ; ses cheveux grisonnants s’étaient déroulés et tombaient sur ses épaules nues et décharnées.

— Écoute, l’homme, dit-elle.

— Oui, femme.

— Écoute bien et grave ces paroles dans ton cœur, si tu en as un. Tu as entendu mes paroles prophétiques : elles sont vraies et inspirées ; j’ajouterai : tu as la force de l’aigle ce roi des airs, et la férocité du lion, ce roi du désert ; mais parfois, en face d’une enfant, tu as la timidité du paon. Va ! ne touche à rien ; je vois du sang dans ta vie. Qu’il ne retombe pas sur ta tête. Va, visage pâle, tu nourris dans ton cœur des projets de haine, il y a en toi une mer de fiel ; cependant tu as du bon ; va, suis tes inclinations, comme le ruisseau suit son cours vers la mer ; mais souffrance pour souffrance, œil pour œil, dent pour dent, selon les expressions des hommes du désert : ce sont mes dernières paroles.