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parle trop haut ! Oh ! pourquoi cette maudite passion a-t-elle envahie mon âme comme une mer montante ? pourquoi l’a-t-elle entourée de ses mailles de fer que je ne puis briser ? Pourquoi suis-je encore à cette heure de ténèbres pour mon cœur, le jouet de cette jalousie sauvage, comme le fétu de paille à la merci des flots qui l’emportent ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Tout est sombre dans mon cœur ! Je ne vois plus qu’à travers l’ombre, et c’est son image que j’entrevois au milieu des ténèbres épaisses qui m’environnent de toutes parts. Elle lui sourit, à lui George mon ami, mon camarade ; non, non, mon ennemi, mon rival heureux, le préféré de celle qui me repousse et que j’adore. Je vous maudis tous deux… À ces derniers mots il se tut, surpris et consterné.

Il était déjà bien avancé dans le chemin de la jalousie immonde et basse. Il en fut surpris lui-même. Déjà le démon de la jalousie l’empoignait dans ses serres profondes, et il se prit à trembler en voyant l’abîme ouvert sous ses pieds et qu’il côtoyait sans crainte. Il y eut un moment de suspension dans le flux de paroles incohérentes qui se pressait sur ses lèvres depuis assez longtemps. Ce fut comme l’arrêt momentané de César revenant des Gaules, au bord du Rubicon ; comme lui aussi, il s’écria : « Le sort en est jeté, qu’il soit maudit puisqu’il est mon rival. » À peine achevait-il de prononcer ces paroles, qu’un coup discret fut frappé à sa porte. En une seconde il revêtit son masque de la tranquillité. Il n’avait pas encore dit le mot traditionnel : Entrez ! que déjà son front s’était déridé, et que ses traits avaient repris leur état normal ; il lui restait bien le sang au visage, mais la fatigue de la journée pouvait bien en être regardée comme la cause par le visiteur