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Marche, jeune fille ; souris à la vie, à la joie, au bonheur ; ton cœur plein d’illusions et de rêves peut chanter, car la joie est comme l’ombre du soir, et le bonheur ressemble au roseau fragile. Vois le ciel sans ride ; entends la voix pure des oiseaux peuplant le bocage, qui chantent leur dernière hymne, au Créateur et saluent l’astre étincelant qui semble fondre à l’horizon dans une fournaise embrasée ; écoute le bourdonnement des insectes dans l’air et sous l’herbe soyeuse et fine ; les rumeurs de la brise sous la feuillée, le clapotement du ruisseau et la grande voix du fleuve ; dis-moi, ne trouves tu pas tout cela dans ton âme ? Il y a eu en toi un concert dont l’harmonie inconnue enveloppe ton cœur d’un réseau de notes suaves et limpides qui te porte à rire à tout et à tous. Marche, jeune fille, dans la campagne, dont les champs verdoyants annoncent la jeunesse. Tout cela aura un lendemain, comme toutes les choses d’ici-bas. Le vent du malheur soufflera, et il y aura des larmes versées sur des ruines à jamais irréparables. Prends garde, jeune fille ; défie toi de l’ombre. Qui sait si le couteau qui brillera un instant aux rayons de la lune argentée, ne frappera pas ton cœur pour l’envelopper dans un long deuil ? Prends garde au sang et à l’assassin.

Pendant qu’Alexandrine jouit dans la campagne, au milieu de ses chers souvenirs, pendant qu’elle se dit tout bas : « Oui, mon Dieu, je l’aime ! plutôt mourir que d’être à jamais séparée de lui, » pénétrons un instant chez Mélas Vincent.

Dans une petite chambre bleue, bien meublée, qui regarde le fleuve et en même temps sur le chemin du roi, où l’on voit un bureau et des livres en désordre, un jeune homme se promène lentement ; il s’arrête parfois, et la main sur son cœur, il semble vouloir comprimer les battements précipités. Sa figure est rouge, violacée ; il y a une veine gonflée au