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tellement enfoncé dans la discussion, tellement absorbé dans son sujet, qu’il ne put pas glisser parfois un regard furtif vers les jeunes gens qui paraissaient oublier l’heure, tant ils semblaient plongés dans une conversation non oiseuse. Comme il aurait voulu être là, lui aussi ! Comme il enviait le sort de Mélas auprès de cette jeune fille qu’il ne faisait que connaître, et dont le regard l’avait blessé dans l’âme. Comme ces fleurs qui ferment leurs corolles, quand la brise souffle trop fort, le cœur de George se replia sur lui-même et consulta ses forces quand il sentit les premières étreintes de l’amour. Un moment lui suffit.

Le sort en est jeté, se dit-il, comme autrefois César au passage du Rubicon. Je veux me livrer tout entier à cette idée : « Toucher son cœur pour l’unir au mien qu’elle a blessé déjà d’une blessure qui, je le sens, ne saurait se refermer même sous les coups de sa froideur. »

Oh ! les âmes de vingt ans ! c’est une cire molle qui se façonne à toutes les nécessités, qui revêt toutes les formes que lui fait prendre l’amour, ce je ne sais quoi qui fait jouir et souffrir : mélange de lie et de baume, que recherchent les hommes avec avidité.

Où va donc Alexandrine qui traverse le salon, avec cette démarche noble, ce laisser aller un peu sans gêne qui lui donne la souplesse d’un saule ? On vient de la prier de chanter, Son père a insisté pour qu’elle chantât, et c’est pourquoi elle gagne le