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d’une enfant ravie, tomber sur son cœur de glace sans s’émouvoir, il pleurait à cette heure où tout son passé surgissait à ses yeux effrayés comme une sanglante menace, pareil aux vagues monstres qui s’élèvent et menacent le ciel. Comme St. Augustin, il pouvait dire : « Je n’ose regarder en arrière. » Et sa mère ? nouvelle Ste Monique, elle avait tant prié Dieu pour le retour de son enfant ; morte de douleur, vraie martyre, elle priait encore là-haut, et qui sait si son ardente prière n’avait pas été d’un grand recours pour le malheureux Mélas.

Mélas promit là, sur son lit de souffrance, que s’il revenait à la vie, il emploierait le reste de ses jours pour une cause juste et légitime. Il donnerait généreusement tout son sang, en expiation de sa triste vie passée. Mes frères sont esclaves, bafoués, méconnus, disait-il ; Eh ! bien ; j’irai vers eux et leur offrirai le secours de mon bras. Qui sait si je ne puis pas être bon à quelque chose ?

Dieu entendit la voix de ce pécheur coupable et repentant comme le bon larron.

Mélas sentit bientôt un mieux sensible. Le sang circula plus chaud dans les veines, le pouls se prit à battre plus fortement. Quand il se sentit la force de marcher, il partit pour la côte Nord, afin de gagner Québec, tantôt à pied, tantôt en canot, avec des sauvages qui remontaient le fleuve. C’est là qu’il apprit que les Canadiens, réclamant leurs droits méconnus, se soulevaient de toute part, et que dans les campagnes, aux environs de Montréal, la population était en pleine insurrection. Il eut une inspiration : « Dieu et la patrie ! » se dit-il, et gagna le camp des insurgés. Qu’importe ma vie, se dit-il ; j’ai assez fait de mal pour pouvoir sacrifier ma vie à une juste