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qui put reposer ses membres fatigués. Il y étendit une large couverte et la jeune fille s’y jeta toute habillée.

Dors, à présent, lui dit le jeune homme ; répare tes forces par un bon sommeil.

— Et toi ? Laurent.

— Je veillerai sur toi et j’attiserai le feu.

— Pourquoi te fatiguer ? Je ne veux pas dormir pour rester avec toi ; je suis si heureux de te voir me sourire, me parler tout bas. Ton regard me dit plus de choses que toutes les fleurs sauvages, plus encore que ces étoiles que le bon Dieu a mises au ciel pour nous éclairer pendant la nuit.

— Chère enfant, ne parle pas ainsi.

— Tu m’aimes donc bien, Laurent.

— Écoute, Fleur-du-mystère : Le cœur brisé, car j’étais entré dans le monde avec les larmes et la misère, l’esprit frappé par la mort de ma mère, une pauvre mendiante, je n’ai connu de la vie que ses amertumes et ses déboires ; j’étais dans le monde comme un astre dévoyé qui suit une course vagabonde, sans but, sans chemin fixe. Un jour, le ciel eut pitié de l’enfant de la pauvre morte, et pour que je fus compris il plaça sur mon chemin une enfant qui souffrait, privée des caresses d’une mère, éloignée d’une famille d’où on l’avait arrachée. Cette enfant, c’était toi ; et Dieu sait comme je l’ai remercié de fois, pour m’avoir fait te rencontrer. Je t’aimai, et le sang se prit à circuler, le cœur donna signe de vie, et je jetai dans cet amour tout un cœur non corrompu mais brisé par les épreuves et la mort des siens qui y avaient creusé autant de tombes. À mon âge, on sent le besoin d’un appui pour marcher dans la vie ; et sur cette terre, ne sommes-nous pas des voyageurs qui avons besoin