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morceau vague comme sa pensée ; mais le charme l’emportant sur la rêverie, une mélodie de Schubert remplace le morceau vague et sans suite. Soupirs, sanglots, larmes et déchirement de la douleur intense, tout se succède avec art et harmonie, en jetant dans l’âme une émotion qui s’accentue d’instant en instant, et fait rêver du ciel. Puis sa voix douce et claire, mais forte, vibrante et sympathique comme les premières paroles des « Adieux » quand le dernier tressaillement de la note qui meurt, eut fait frissonner la pauvre enfant rêveuse, dont le grand œil bleu s’était obscurci d’une larme, et se lève et rejoint sa mère, vénérable maman dont la bonté du cœur ne laissait rien à désirer. C’était une de ces âmes qui passent en faisant le bien, et laissent après elles le souvenir de leurs vertus, comme la rose, ses parfums.

— Qu’il fait beau, maman !

— As-tu envie de sortir ? Fais atteler et sors.

— Non, tu es toute seule. Et j’aime bien à rester auprès de toi ; et elle s’approchait de sa bonne mère qui, comme toutes nos mères canadiennes, ne restait pas à rien faire. La couture sur ses genoux, elle venait de prendre l’Imitation de Jésus Christ pour en lire un de ces sublimes passages qui contiennent les plus hautes vérités. Travailler et méditer, c’était pour elle mêler l’utile à l’agréable.

— Mère, dit Alexandrine, j’ai vu de la fumée ce matin au pied de la Montagne, à gauche d’ici. Les hommes y ont-ils mis le feu.

— Non. C’est une sauvagesse, vieille personne hideuse, une vraie bohémienne qui est venue s’établir là. Elle a un fils, un vrai bandit qui court les chemins et les grèves.