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— Et tu devrais venir les voir. Oh ! non.

— J’aimerais connaître cette jeune fille.

— Ça viendra, répartit Bison-des-Plaines qui gagna seul le village.

Cette révélation avait piqué au vif la curiosité de Laurent. Seul, jeté dans le monde sans protection, aujourd’hui au milieu de ce peuple grouillant dont il avait presque pris les habitudes, il avait conservé intact, au fond du cœur, cette capacité d’amour que le ciel y plaça. Comme tout jeune homme de vingt ans, il rêvait un intérieur à deux, un foyer paisible, en un mot une famille.

Aussi cette nuit qui suivit la révélation de Bison-des-Plaines, Laurent eut le sommeil court. Il rêva longtemps ; il voyait des yeux du cœur cette jeune fille blanche élevée parmi les sauvages, et il l’entourait de tout ce qu’une imagination en feu peut trouver de beau ; il en fit une statue animée à laquelle il prêta toutes les formes imaginables ; il passa donc la plus grande partie de la nuit à entrevoir cette beauté inconnue qu’il aurait voulu connaître.

Le lendemain, c’était le jour du Seigneur ; vers le soir, ennuyé, poursuivi par cette vision enchanteresse, Laurent prit sa perche et s’en alla pêcher au bord des rochers qui bordent le fleuve. Le soleil allait disparaissant en arrière des montagnes, et l’ombre des collines s’allongeait sur le fleuve dont les eaux se doraient vers les rives du sud.

Le jeune homme, plongé dans une rêverie profonde, oubliait sa ligne et les beaux poissons du fleuve qui offraient une capture facile. Il revoyait les bords enchantés de cette île où vivaient encore peut-être ses parents adoptifs, eux qui l’avaient aimé,