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aveugle et un père qui l’aimait parfois pour la rudoyer ensuite ! Elle sortait quelques fois à travers le village, toujours accompagnée de Mélas. Tous la regardaient passer avec joie. Il tombait alors de sa personne je ne sais quel charme mystique qui frappait les sauvages et les portait à vénérer cette jeune fille à l’air si doux, au regard si bon !

Le Chef avait souvent invité Mélas et Fleur-du-mystère à des repas de circonstance, et pour une raison ou pour une autre Mélas avait trouvé un prétexte pour ne pas amener son enfant avec lui. C’était alors que Bison-des-Plaines trouvait moyen de se faufiler jusqu’à Fleur-du-mystère, la regarder sans qu’elle le sût et s’en retourner heureux d’avoir contemplé ses traits. Il allait satisfaire ce besoin du cœur aux heures mêmes de la nuit où Mélas et Fleur-du-mystère étaient ensemble, sous la tente. C’est en vain que Mélas veille, et une heure a sonné où il doit comprendre où ont abouti ses efforts.

Un soir, Mélas dévorait des yeux plutôt qu’il ne regardait, Fleur-du-mystère récitant tout bas les vers d’Ossian. Le malheureux, il ressentait dans son cœur un amour profond et jaloux. Il aurait voulu la voir se lever lentement, s’approcher de lui et lui crier : « Mon père, » et cela par une impulsion naturelle partie du cœur de Fleur-du-mystère. Il aurait voulu qu’elle murmurât à son oreille ces paroles ineffables que jamais femme aimée ne lui avait dites. Il n’était pas digne, le monstre, d’entendre une voix de femme, une voix d’ange, lui dire : « Je t’aime ! » ces mots tombés du ciel pour la consolation de ceux qui souffrent et pleurent.

Viens ici, fille, dit-il. — L’enfant s’approcha.

— M’aimes-tu, moi ton père ?

— Oui père, tu le sais bien.