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privée de son enfant, a été si intense, qu’en un seul instant, comme un éclair qui passe, sa raison s’était obscurcie d’un voile épais, opaque, ténébreux. Désormais, dans la vie, elle allait marcher sans but, sans désir, n’ayant qu’une idée fixe, véritable monomanie : son enfant ! Or là, rien, le néant, la nuit, le cahot, les ténèbres. Parfois le voile se déchirera, et son intelligence semblera s’éclaircir ; mais ce ne sera que comme ces éclairs subits qui éblouissent dans la nuit noire qui nous enveloppe, et augmente l’épaisseur des ténèbres après leur disparition.

Pauvre mère ! pauvre femme ! combien de cœurs vont souffrir ! Que de sanglots tu vas soulever ! Que de larmes tu vas faire couler ! Ton George, qui est si loin, il va revenir pour te presser, toi et ton enfant. Que trouvera-t-il ? Mieux vaudrait y trouver un cercueil noir, surmonté d’une petite tombe blanche, où reposeraient la mère et l’enfant. Mais patience ! Dieu est là ; et sa justice suit son cours même ici-bas.


PREMIÈRE PARTIE

LES DEUX COMPAGNONS

I

LE MENDIANT.


Revenons maintenant à dix années en arrière, par une belle matinée du mois de juin. Le ciel est limpide : ce ciel du Canada qui l’emporte parfois sur celui d’Italie. À l’horizon, rasant les Laurentides, murailles de granit opposées aux flots, quelques nuages roses flottent, et mollement, dans l’azur du ciel. L’air est tiède et embaumé des parfums des bois