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simple troubler le recueillement du temple. Cette femme en longs habits de deuil, le front pâle et les joues déjà caves ; cette femme dont l’intelligence vive et brillante s’était obscurcie d’un épais nuage, c’était sa maîtresse. Elle l’aimait tant ! Et, à cette heure d’épreuve, la voyant ainsi les mains jointes, les yeux levés vers Celle que l’on nomme Consola, trix afflictorum, et chantant ces paroles du « Vallon, » avec lesquelles elle avait si souvent endormi Armande, elle sentit son cœur se briser et pleura amèrement. Elles sortirent enfin de l’église.

Alexandrine marchait vivement. Dépêchons nous, disait-elle ; Armande est là qui m’attend ; elle pleure peut-être. Pourquoi l’as tu laissée seule ? Oh ! mon Dieu, ils peuvent la ravir… et la pauvre femme courait plus qu’elle ne marchait vers sa demeure… Elle n’y arrivait que pour approcher du berceau privé du petit être qui devait l’habiter, y plonger un regard terne et sans expression. Et là, la nuit la surprenait à bercer, en chantant les couplets et les refrains que savent nos mères quand elles nous endorment.

Ainsi se passait, en grande partie, la vie de la pauvre folle. Parfois elle rencontrait sur sa route des petits-enfants. Elle les prenait dans ses bras ; as-tu vu Armande, petite ? Elle était si belle ; de grands yeux bleus ; elle ressemblait à mon George ; tu ne l’as pas vue ? — Non, répondait l’enfant. — C’est vrai ; mais elle reviendra. Oh ! mon pauvre cœur, que tu vas souffrir ; ils t’ont ravi une partie de ton être ! Et la mère pleurait, en laissant aller la petite fille qui s’éloignait et la regardait s’avancer en disant : « Elle est folle ! pauvre mère ! »