Page:Gauvreau - Captive et bourreau, paru dans La Gazette des Campagnes, 1883.pdf/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la mer baisse et les flots ayant moins de fureur, nous allons suivre sûrement le courant qui nous mène à l’Îlet-au-massacre.

Le corps penché en avant pour dévorer l’espace plus vite, les cheveux à la brise qui siffle, la Chouette à l’arrière et le Crochu à l’avant, rament dru et fort. Le Visage-pâle, assis au fond du canot, tient sur lui l’enfant, sa proie tant convoitée. Tu vas souffrir, dit-il, tout bas, parce que j’ai souffert. Et ta mère souffrira aussi ; et moi je m’en moquerai, car mon cœur a durci sous les coups cent fois répétés de la douleur.

Il parle tout bas, et il tremble le misérable. Caïn, qu’as-tu fait de ton frère ? Il croit voir ces paroles dans chaque éclair qui fend le ciel dans toute son étendue, dans chaque coup de tonnerre qui lui fait courber la tête, comme si une montagne allait lui tomber sur les épaules. Une sueur froide, fiévreuse, couvre son front de marbre que couronne à deux pouces de hauteur une forêt de cheveux noirs.


III


Mon enfant ! mon enfant ! cri de désespoir de cette pauvre Alexandrine qui tombe de son lit sur le plancher et se jette sur le berceau vide de son enfant. Ce cri, poussé avec la force qu’a une lionne lorsque ses petits sont en danger, est entendu d’Hermine, sa fidèle servante. Elle arrive à la hâte, à peine vêtue. Elle ne peut en croire ses yeux. Elle se sent faiblir ; mais faisant un effort suprême, elle court, criant, demandant aide et protection.

On arrive, le curé en tête. La pauvre mère est là, à genoux ; elle semble privée de sentiment. Le pasteur, entouré de villageois, n’ose parler. La voilà qui se lève. Ses yeux ont perdu leur éclat, et peine