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tour de moi ; mais une consolation, c’est qu’il me semblait distinguer tes traits à travers le voile que j’avais devant les yeux. Le cœur n’était pas mort, et il me présentait ta présence à mon chevet, aux heures de luttes, j’oserais dire aux heures d’agonie.

Ainsi parlait George, et de sa main défaillante il essuyait les sueurs qui baignaient son front et son visage.

— Ne te fatigue pas, mon George, à me parler, à me prouver ton amour dont je n’ai jamais douté. Laisse-moi te dire ma douleur en te voyant aux prises avec la mort et te criant du fond du cœur : « Amène-moi, ne me laisse pas seul avec mon cœur. » Toi mort, le monde n’aurait plus été qu’un vaste tombeau, car pour moi tu es tout le monde et ta perte m’aurait laissée inconsolable. À cette heure qui me voit heureuse auprès de toi, je pense à la joie éprouvée en te servant fidèlement, en me dévouant pour toi que j’aime plus que moi-même. C’est si beau, si consolant de pouvoir se multiplier pour ceux qu’on aime ; peut on jamais trop prôner notre amour, nous pauvres enfants qui nous attachons avec la fermeté du lierre au cep qui le soutient ?

— Ne parle pas ainsi Alexandrine ; ta voix me pénètre jusqu’au cœur ; sainte enfant, je sais combien tu m’aimes et je sens que tu m’es chère. Écoute ces voix du dehors qui montent jusqu’à nous, eh ! bien, elles ne sont pas plus douces à mon oreille que ta voix, quand tu murmures tout bas : « mon George, je t’aime. »

Ainsi s’écoulaient les journées quand Alexandrine, quittant sa mère, pouvait venir passer quelques heures auprès du pauvre malade revenant difficilement à la santé. Pourtant on s’apercevait de jour en jour qu’il prenait plus de force ; un mieux sensible se faisait sentir dans son apparence, dans ses faiblesses.