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épouses attendaient leurs maris, des mères leurs enfants, de jeunes filles leurs fiancés.

Alexandrine n’était pas la dernière à la fenêtre de la maison, regardant ces vaisseaux d’outre-mer qui remontaient si bien le fleuve. C’était sur un de ces navires que George s’était embarqué il y avait plus de cinq ans, puisqu’on était rendu au mois de mai et que les cinq ans étaient expirés au mois d’octobre dernier. Alexandrine n’en perdait pas un seul de vue. Elle avait les yeux rivés sur ces maisons flottantes dont les énormes vergues ressemblent à des bras de géant. Là, accoudée à la fenêtre, elle se surprenait à pleurer au souvenir de l’absent, dont le départ l’avait brisée et qui semblait ne plus devoir venir au village.

Pauvre enfant ! pauvre Alexandrine ! encore au portique de la vie, à cet âge où les illusions font vivre, où les rêves prennent une large place dans la vie, tu pleures ? Il y a donc une mer d’amertume en toi ? L’espérance de revoir ton George a-t-elle fui loin de ton cœur ? Qui te dit que ces larmes qui coulent à cette heure ne seront pas remplacées par des larmes de joie ? Ne voit-on pas dans la nature des orages subits et des rayonnements lumineux s’échappant des nuages qui se dispersent dans l’espace éthéré ? N’as-tu pas remarqué, enfant, hier, un gros navire, faisant, toute voile dehors, la montée du fleuve Saint-Laurent ? Qui te dit qu’il n’est pas à bord, qu’il ne va pas arriver pour sécher tes larmes ? N’as tu pas assez souffert ? N’as-tu pas assez prié,