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embaumé, la mer gardait un son calme, cette sérénité imposante qu’ont les choses sublimes, et les monts d’alentour frissonnaient sous l’effluve caressante qui montait du fleuve des grèves des champs dorés et des plaines verdoyantes.

Le frêle esquif se dirigeait rapidement vers le bas de la rivière, laissant derrière lui, sous la garde de l’humble croix du cimetière qui se détachait tout blanc par son enclos, sur le fond sombre de la Pointe, le petit village naissant des Trois-Pistoles.

On frôla les Rassades, ces petits rochers à fleur d’eau qui séparent Trois-Pistoles de St-Simon, puis le canot longea paisiblement les murailles de St-Fabien : c’étaient alors des endroits sauvages inhabités, c’était comme une « terra incognita » entre Rimouski et Trois-Pistoles.

Le missionnaire chantait une Hymne à la Vierge et nos deux colons, en cadence, réglaient leurs coups d’aviron et poussaient de l’avant ; la mer se faisait un peu plus houleuse au large, et sa grande voix semblait éveiller les échos des bois sauvages, le long du fleuve. Mais nos gens habitués à la mer n’avaient pas peur. Pourquoi craindre ? Ne portaient-ils pas dans leur canot le missionnaire de Dieu ?

Déjà plus de la moitié du trajet était accomplie, et on escomptait un bon gite et un bon repas chez le Seigneur Lepage, à Rimouski, lorsque le temps changea subitement. Le ciel s’obscurcit soudain, de gros nuages amoncelés commencèrent à se mouvoir dans l’espace comme des fantômes errants, et la brise augmentant toujours, les voyageurs, à la merci des éléments, voulurent serrer terre de plus près.

Fatigués déjà par une course assez précipitée, les deux colons des Trois-Pistoles, essayaient en vain de regagner le rivage maintenant trop éloigné. La mer prenait un aspect lugubre, ouvrant son sein en abîmes profonds, et menaçant de leur creuser à chacun un tombeau à la hâte où les requins auraient eu vite raison de leurs corps.

Encouragés par le saint missionnaire, nos jeunes gens ne se rebutèrent pas, au contraire, en face du danger qui augmentait d’heure en heure, ils sentaient renaître en eux leur énergie d’autrefois et les muscles tendus, le corps moitié replié,