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changé en un tas de décombres blanchâtres, était particulièrement lugubre. Rien de navrant comme un lieu de plaisir sur lequel une catastrophe a passé.

Quand nous descendîmes de wagon, la pluie tombait comme un brouillard qui se résout, fine, pénétrante. Peu de monde dans les rues, de rares voitures esquivant l’appel du passant, un grand silence comme à Venise, la ville sans chevaux ; sur les physionomies, une expression d’effarement ou de stupeur qui nous rappelait les temps de choléra. Chacun rasait le mur d’un pas hâté ou craintif, sans doute par l’habitude de se garer des obus ou des projectiles. Aux parois des maisons, des écorchures d’un blanc neuf et criard ; aux fenêtres, sur les vitres qui n’étaient pas cassées, des bandes de papiers et croisées en tous sens, pour empêcher l’effet des vibrations de l’artillerie ; aux soupiraux des caves ou des sous-sol, des maçonneries de brique ou de plâtre, dans la crainte des pétroleuses, mot hideux que n’avait pas prévu le dictionnaire : mais les horreurs inconnues nécessitent des néologismes effroyables. On pressentait encore plutôt la grandeur du désastre qu’on ne la voyait réelle-