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formité des files. Ainsi l’on voit dans un troupeau un bœuf impatient se hausser et dépasser de la tête et du poitrail ses compagnons de marche. C’était un spectacle étrange que cet entassement formidable d’artillerie au centre de cette ville si paisible de mœurs, et qui semble se complaire dans le silence, le recueillement et la solitude, comme si elle écoutait le murmure affaibli de ses anciens souvenirs. Mais ce spectacle avait sa beauté sévère ; et il nous arrêtait toutes les fois que nous longions la place pour aller rue des Réservoirs guetter les nouvelles à leur sortie de la cour de Maroc.

Ce qui nous frappait surtout, c’était ce retour aux formes antiques de la vie au milieu d’une civilisation extrême. La guerre est un des modes de l’existence primitive. Le soldat en campagne vit à peu près comme le sauvage et le barbare. Qu’on n’attache à ces deux mots aucune signification de blâme : ils veulent dire seulement que l’homme en état de guerre se rapproche de l’état naturel. Le soldat coupe et fend son bois, apprête sa nourriture, dresse sa tente, et pourvoit lui-même à ses besoins, ne demandant rien qu’à ses propres forces. Il veille à sa sûreté, fait le guet,