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en outre quelque enfant un peu plus âgé suspendu au pan de leur jupe. D’autres fugitifs marchent courbés sous le poids de quelque meuble ; rien de plus sinistrement pittoresque que ce cortège s’avançant dans l’ombre, éclairé par le reflet livide de la neige et le feu rouge des obus.

Une composition restée presque à l’état d’esquisse, mais où le fini le plus extrême n’ajouterait rien, tant le sentiment que l’artiste a voulu exprimer s’y lit nettement dans le désordre des traits jetés comme au hasard, nous a retenu longtemps en contemplation devant elle. La scène représente une rentrée d’ambulance après une bataille hors des murs, — Champigny, le plateau d’Avron, Buzenval ; — une femme hagarde, échevelée, droite comme un spectre, ayant dans les yeux cette fixité qui annonce la folie, porte une lanterne sous le nez des blessés éblouis de cette brusque lueur, et dont les figures hâves, décomposées, convulsées par là souffrance, entourées de bandelettes et de compresses, rappellent les masques fantastiques évoqués par Goya du fond de ses ténébreuses eaux-fortes. Elle cherche parmi ces blessés un mari ou un fils qui est sans doute au nombre des morts, et à