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montoires ou des écueils au-dessus de son océan de maisons, prend une apparence apocalyptique et formidable : on dirait une de ces Ninives ou de ces Babylones que le prophète entrevoit en rêve, et sur lesquelles plane le nuage noir des cataclysmes.

Un de ces dessins a été repris par l’artiste, qui en a fait un tableau d’un effet saisissant. C’est la nuit, et « l’obscure clarté qui tombe des étoiles, » comme a dit Corneille, dans une cheville sublime, permet de deviner confusément le nom de la rue Gay-Lussac, inscrit à l’angle d’une muraille. La neige recouvre le pavé de son blanc linceul, sinistre dans sa pâleur, et faisant ressortir le gris lugubre des longs murs formant les jardins et les terrains vagues des rues qui s’achèvent au milieu des champs. Sur un ciel d’un bleu noir scintillent ces mouchetures d’argent semblables à des larmes gelées, indice des nuits glaciales. Quelques fragments d’obus, récemment tombés, jonchent la neige et ajoutent aux terreurs de l’obscurité, du silence, de la solitude et des mauvaises rencontres, l’épouvante de la mort soudaine sortant de l’ombre avec un éblouissement de foudre.