Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chis dans son œil comme dans une photographie instantanée. En voyant éclater la bombe, il se demande avec quel mélange de couleurs on pourrait exprimer cette lueur sinistre. Cette disposition spéciale rend l’artiste merveilleusement propre à conserver et à reproduire la physionomie des événements à ces heures de lutte suprême où, sous l’imminence des catastrophes, les esprits les plus fermes ne songent plus qu’à une défense désespérée. L’artiste prend part à l’action, mais voit en même temps le spectacle. Cette tuerie, où il peut trouver la mort, — Regnault l’a bien prouvé, — est une bataille sans doute, mais c’est aussi un tableau.

Les décorations de monuments, églises et palais, les commandes officielles ou particulières, les grands travaux d’illustration étaient naturellement suspendus à cette époque si sombre et si incertaine, où l’espoir le plus obstiné ne pouvait, sans folie, compter sur un lendemain ; chaque artiste, résigné à la maigre sportule du siége, et ne comptant sur aucun profit rémunérateur, s’abandonnait librement à sa fantaisie personnelle, notant ce qui l’avait frappé et l’exprimant avec toute sincérité dans l’oubli parfait du public,