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et, quand elle est sacrifiée pour la patrie, la vie du plus obscur vaut la vie du plus illustre ; mais l’on peut dire que la plus grande perte du siége est la mort de Regnault : il avait, malgré sa bravoure folle, échappé aux périls de la défense, et il est tombé au jour suprême devant ce funeste mur de Buzenval, sous la dernière balle prussienne, — raffinement cruel de la destinée qui nous poursuit.

Avec Henri Regnault disparaît, pour la peinture, la possibilité d’un avenir nouveau. Si ce jeune maître avait eu des jours plus nombreux, la face de l’art pouvait être changée ou modifiée. Dans le monde des formes et des couleurs, il avait ouvert des perspectives, signalé des horizons jusqu’ici restés inaperçus. Les rapports de ton que les peintres ne saisissent pas étaient sensibles aux yeux de cet artiste si merveilleusement doué qui semblait avoir, pour parler le langage de Swedenborg, le don de correspondance. Il voyait l’âme de la couleur là où les autres n’en voient que le corps, et il savait reconnaître sous les disparates apparentes les secrètes affinités des nuances. Il dégageait la singularité intime et personnelle des types, les mettant dans tout leur relief et les mon-