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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

seconde, puis une troisième… Par égard pour le lecteur, que nous ne voulons pas humilier et désespérer, nous ne porterons pas notre relation plus loin…

Notre belle lectrice bouderait à coup sûr son amant si nous lui révélions le chiffre formidable où monta l’amour de d’Albert, aidé de la curiosité de Rosalinde. Qu’elle se souvienne de la mieux remplie et de la plus charmante de ses nuits, de cette nuit où… de cette nuit de laquelle l’on se souviendrait pendant plus de cent mille jours, si l’on n’était mort depuis longtemps ; qu’elle pose le livre à côté d’elle, et suppute sur le bout de ses jolis doigts blancs combien de fois l’a aimée celui qui l’a le plus aimée, et comble ainsi la lacune que nous laissons dans cette glorieuse histoire.

Rosalinde avait de prodigieuses dispositions, et fit en cette nuit seule des progrès énormes. — Cette naïveté de corps qui s’étonnait de tout et cette rouerie d’esprit qui ne s’étonnait de rien, formaient le plus piquant et le plus adorable contraste. — D’Albert était ravi, éperdu, transporté, et aurait voulu que cette nuit durât quarante-huit heures, comme celle où fut conçu Hercule. — Cependant, vers le matin, malgré une infinité de baisers, de caresses, de mignardises les plus amoureuses du monde et bien faites pour tenir éveillé, après un effort surhumain, il fut obligé de prendre un peu de repos. Un doux et voluptueux sommeil lui toucha les yeux du bout de l’aile, sa tête s’affaissa, et il s’endormit entre les deux seins de sa belle maîtresse. — Celle-ci le considéra quelque temps avec un air de mélancolique et profonde réflexion ; puis, comme l’aube jetait ses rayons blanchâtres à travers les rideaux, elle le souleva doucement, le reposa à côté d’elle, se dressa, et passa légèrement sur son corps.

Elle fut à ses habits et se rajusta à la hâte, puis revint