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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

D’Albert, ébloui, la contemplait avec ravissement.

— J’ai froid, dit-elle en croisant ses deux mains sur ses épaules.

— Oh ! de grâce ! une minute encore !

Rosalinde décroisa ses mains, appuya le bout de son doigt sur le dos d’un fauteuil et se tint immobile ; elle hanchait légèrement de manière à faire ressortir toute la richesse de la ligne ondoyante ; — elle ne paraissait nullement embarrassée, et l’imperceptible rose de ses joues n’avait pas une nuance de plus : seulement le battement un peu précipité de son cœur faisait trembler le contour de son sein gauche.

Le jeune enthousiaste de la beauté ne pouvait rassasier ses yeux d’un pareil spectacle : nous devons dire, à la louange immense de Rosalinde, que cette fois la réalité fut au-dessus de son rêve, et qu’il n’éprouva pas la plus légère déception.

Tout était réuni dans le beau corps qui posait devant lui : — délicatesse et force, forme et couleur, les lignes d’une statue grecque du meilleur temps et le ton d’un Titien. — Il voyait là, palpable et cristallisée, la nuageuse chimère qu’il avait tant de fois vainement essayé d’arrêter dans son vol : — il n’était pas forcé, comme il s’en plaignait si amèrement à son ami Silvio, de circonscrire ses regards sur une certaine portion assez bien faite, et de ne la point dépasser, sous peine de voir quelque chose d’effroyable, et son œil amoureux descendait de la tête aux pieds et remontait des pieds à la tête, toujours doucement caressé par une forme harmonieuse et correcte.

Les genoux étaient admirablement purs, les chevilles élégantes et fines, les jambes et les cuisses d’un tour fier et superbe, le ventre lustré comme une agate, les hanches souples et puissantes, la gorge à faire descendre les dieux du ciel pour la baiser, les bras et les épaules du