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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

vous jure, et ceci est une promesse que l’on peut tenir, de garder toujours un charmant souvenir de vous, et, si je ne suis plus votre maîtresse, d’être votre amie comme j’ai été votre camarade. — J’ai quitté pour vous cette nuit mes habits d’homme ; — je les reprendrai demain matin pour tous. — Songez que je ne suis Rosalinde que la nuit, et que tout le jour je ne suis et ne peux être que Théodore de Sérannes…

La phrase qu’elle allait prononcer s’éteignit dans un baiser auquel en succédèrent beaucoup d’autres, que l’on ne comptait plus et dont nous ne ferons pas le catalogue exact, parce que cela serait assurément un peu long et peut-être fort immoral — pour certaines gens, — car pour nous, nous ne trouvons rien de plus moral et de plus sacré sous le ciel que les caresses de l’homme et de la femme, quand tous deux sont beaux et jeunes.

Comme les instances de d’Albert devenaient plus tendres et plus vives, au lieu de s’épanouir et de rayonner, la belle figure de Théodore prit l’expression de fière mélancolie qui donna quelque inquiétude à son amant.

— Pourquoi, ma chère souveraine, avez-vous l’air chaste et sérieux d’une Diane antique, là où il faudrait plutôt les lèvres souriantes de Vénus sortant de la mer ?

— Voyez-vous, d’Albert, c’est que je ressemble plus à Diane chasseresse qu’à toute autre chose. — J’ai pris fort jeune cet habit d’homme pour des raisons qu’il serait long et inutile de vous dire. — Vous avez seul deviné mon sexe, — et, si j’ai fait des conquêtes, ce n’a été que de femmes, conquêtes fort superflues et dont j’ai été plus d’une fois embarrassée. — En un mot, quoique ce soit une chose incroyable et ridicule, je suis vierge, — vierge comme la neige de l’Himalaya, comme