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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

la fenêtre ; un pâle rayon plongea dans la chambre et éclaira d’une lueur bleuâtre notre groupe taciturne.

Avec son peignoir blanc, ses bras nus, sa poitrine et sa gorge découvertes, presque de la même couleur que son linge, ses cheveux épars et son air douloureux, Rosette avait l’air d’une figure d’albâtre de la Mélancolie assise sur un tombeau. Quant à moi, je ne sais trop quelle figure je pouvais avoir, attendu que je ne me voyais pas et qu’il n’y avait point de glace qui pût réfléchir mon image, mais je pense que j’aurais très-bien pu poser pour une statue de l’Incertitude personnifiée.

J’étais émue, et je fis à Rosette quelques caresses plus tendres qu’à l’ordinaire ; de ses cheveux ma main était descendue à son cou velouté, et de là à son épaule ronde et polie que je flattais doucement et dont je suivais la ligne frémissante. L’enfant vibrait sous mon toucher comme un clavier sous les doigts d’un musicien ; sa chair tressaillait et sautait brusquement, et d’amoureux frissons couraient le long de son corps.

Moi-même j’éprouvais une espèce de désir vague et confus dont je ne pouvais démêler le but, et je sentais une grande volupté à parcourir ces formes pures et délicates. — Je quittai son épaule, et, profitant de l’hiatus d’un pli, j’enfermai subitement dans ma main sa petite gorge effarée, qui palpitait éperdument comme une tourterelle surprise au nid ; — de l’extrême contour de sa joue, que j’effleurais d’un baiser à peine sensible, j’arrivai à sa bouche mi-ouverte : nous restâmes ainsi quelque temps. — Je ne sais pas, par exemple, si ce fut deux minutes, ou un quart d’heure, ou une heure ; car j’avais totalement perdu la notion du temps, et je ne savais pas si j’étais au ciel ou sur la terre, ici ou ailleurs, morte ou vivante. Le vin capiteux de la volupté m’avait tellement enivrée à la première gorgée que j’avais bue,