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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

été si aimable, d’être tant aimé ? N’est-ce pas une conséquence toute naturelle ? Je ne suis ni une folle, ni une évaporée, ni une petite fille romanesque qui s’éprend de la première épée qu’elle voit. J’ai du monde, et je sais ce que c’est que la vie. Ce que je fais, toute femme, même la plus vertueuse ou la plus prude, en eût fait autant. — Quelle idée et quelle intention aviez-vous ? celle de me plaire, j’imagine, car je n’en puis supposer d’autre. Comment se fait-il donc que vous avez, en quelque sorte, l’air fâché d’y avoir si bien réussi ? Ai-je fait, sans le vouloir, quelque chose qui vous ait déplu ? — Je vous en demande pardon. Est-ce que vous ne me trouvez plus belle, ou avez-vous découvert en moi quelque défaut qui vous rebute ? — Vous avez le droit d’être difficile en beauté, mais ou vous avez menti étrangement, ou je suis belle aussi, moi ! — Je suis jeune comme vous, et je vous aime ; pourquoi maintenant me dédaignez-vous ? Vous vous empressiez tant autour de moi, vous souteniez mon bras avec une sollicitude si constante, vous pressiez si tendrement la main que je vous abandonnais, vous leviez vers moi des paupières si langoureuses : si vous ne m’aimiez pas, à quoi bon tout ce manége ? Auriez-vous eu par hasard cette cruauté d’allumer l’amour dans un cœur pour vous en faire ensuite un sujet de risée ? Ah ! ce serait une horrible raillerie, une impiété et un sacrilége ! ce ne pourrait être que l’amusement d’une âme affreuse, et je ne puis croire cela de vous, tout inexplicable que soit votre conduite envers moi. Quelle est donc la cause de ce revirement subit ? Quant à moi, je n’y en vois point. — Quel mystère cache une pareille froideur ? — Je ne puis croire que vous ayez de la répugnance pour moi ; ce que vous avez fait prouve que non, car on ne courtise pas aussi vivement une femme pour qui l’on a du dégoût, fût-on le plus grand