Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/367

Cette page a été validée par deux contributeurs.
361
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

le costume de votre sexe, j’ai vu vos épaules et vos bras si purs et si correctement arrondis. Le commencement de votre poitrine que votre gorgerette laissait entrevoir ne peut appartenir qu’à une jeune fille : ni Méléagre le beau chasseur, ni Bacchus l’efféminé, avec leurs formes douteuses, n’ont jamais eu une pareille suavité de lignes ni une si grande finesse de peau, quoiqu’ils soient tous les deux de marbre de Paros et polis par les baisers amoureux de vingt siècles. — Je ne suis plus tourmenté de ce côté-là. — Mais ce n’est pas tout : vous êtes femme, et mon amour n’est plus répréhensible, je puis m’y livrer sans remords et m’abandonner au flot qui m’emporte vers vous ; si grande, si effrénée que soit la passion que j’éprouve, elle est permise et je la puis avouer ; mais vous, Rosalinde, pour qui je brûlais en silence et qui ignoriez l’immensité de mon amour, vous que cette révélation tardive, ne fera peut-être que surprendre, ne me haïssez-vous pas, m’aimez-vous, pourrez-vous m’aimer ? Je ne sais, — et je tremble, et je suis plus malheureux encore qu’auparavant.

— Par instants, il me semble que vous ne me haïssez pas ; — quand nous avons joué Comme il vous plaira, vous avez donné à certaines parties de votre rôle un accent particulier qui en augmentait le sens, et m’engageait, en quelque sorte, à me déclarer. — J’ai cru voir dans vos yeux et dans votre sourire de gracieuses promesses d’indulgence et sentir votre main répondre à la pression de la mienne. — Si je m’étais trompé, ô Dieu ! c’est une chose à quoi je n’ose pas réfléchir. — Encouragé par tout cela et poussé par mon amour, je vous ai écrit, car l’habit que vous portez se prête mal à de tels aveux, et mille fois la parole s’est arrêtée sur mes lèvres ; bien que j’eusse l’idée et la ferme conviction que je parlais à une femme, ce costume viril effarouchait