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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

ouvert des perles les plus précieuses, et, dans vos moindres mouvements, dans vos gestes les plus oublieux, dans vos poses les plus abandonnées, vous jetez à chaque instant, avec une profusion royale, d’inestimables trésors de beauté. Si les molles ondulations de contour, si les lignes fugitives d’une attitude pouvaient se fixer et se conserver dans un miroir, les glaces devant lesquelles vous auriez passé feraient mépriser et regarder comme des enseignes de cabarets les plus divines toiles de Raphaël.

Chaque geste, chaque air de tête, chaque aspect différent de votre beauté se gravent sur le miroir de mon âme avec une pointe de diamant, et rien au monde n’en pourrait effacer la profonde empreinte ; je sais à quelle place était l’ombre, à quelle place était la lumière, le méplat que lustrait le rayon du jour, et l’endroit où le reflet errant se fondait avec les teintes plus assouplies du cou et de la joue. — Je vous dessinerais absente ; votre idée pose toujours devant moi.

Tout enfant, je restais des heures entières debout devant les vieux tableaux des maîtres, et j’en fouillais avidement les noires profondeurs. — Je regardais ces belles figures de saintes et de déesses dont les chairs d’une blancheur d’ivoire ou de cire se détachent si merveilleusement des fonds obscurs, carbonisés par la décomposition des couleurs ; j’admirais la simplicité et la magnificence de leur tournure, la grâce étrange de leurs mains et de leurs pieds, la fierté et le beau caractère de leurs traits, à la fois si fins et si fermes, le grandiose des draperies qui voltigeaient autour de leurs formes divines, et dont les plis purpurins semblaient s’allonger comme des lèvres pour embrasser ces beaux corps. — À force de plonger opiniâtrément mes yeux sous le voile de fumée épaissi par les siècles, ma vue se troublait,