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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Elle dut croire que toutes les sorcières de la Thrace et de la Thessalie m’avaient jeté leurs charmes sur le corps, ou que, tout au moins, j’avais l’aiguillette nouée, et prendre une fort détestable opinion de ma virilité, qui est effectivement assez mince. — Cependant il paraît que cette idée ne lui vint point, et qu’elle n’attribuait qu’à mon défaut d’amour pour elle cette singulière réserve.

Les jours s’écoulaient, et ses affaires n’avançaient pas : — elle en était visiblement affectée : une expression de tristesse inquiète avait remplacé le sourire toujours frais épanoui de ses lèvres ; les coins de sa bouche, si joyeusement arqués, s’étaient abaissés sensiblement, et formaient une ligne ferme et sérieuse ; quelques petites veines se dessinaient d’une manière plus marquée à ses paupières attendries ; ses joues, naguère si semblables à la pêche, n’en avaient conservé que l’imperceptible velouté. Souvent, de ma fenêtre, je la voyais traverser le parterre en peignoir du matin ; elle marchait, levant à peine les pieds, comme si elle eût glissé, les deux bras mollement croisés sur la poitrine, la tête inclinée, plus ployée qu’une branche de saule qui trempe dans l’eau, avec quelque chose d’onduleux et d’affaissé, comme une draperie trop longue dont le bout touche à terre. — En ces instants-là, elle avait l’air d’une de ces amoureuses antiques en proie au courroux de Vénus, et sur qui l’impitoyable déesse s’acharne tout entière : — c’est ainsi que je me figure que Psyché devait être quand elle eut perdu Cupidon.

Les jours où elle ne s’efforçait pas pour vaincre ma froideur et mes hésitations, son amour avait une allure simple et primitive qui m’eût charmée ; c’était un abandon silencieux et confiant, une chaste facilité de caresses, une abondance et une plénitude de cœur