Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/345

Cette page a été validée par deux contributeurs.
339
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

blaient, et, si Rosette eût été un cavalier au lieu d’être ce qu’elle était, elle aurait eu, à coup sûr, très-bon marché de moi.

À la fin, n’y pouvant tenir, elle se leva brusquement en faisant une espèce de mouvement spasmodique, et se mit à marcher dans la chambre avec une grande activité ; puis elle s’arrêta devant le miroir, et rajusta quelques mèches de ses cheveux qui avaient perdu leur pli. Pendant cette promenade, je faisais une pauvre figure, et je ne savais guère quelle contenance tenir.

Elle s’arrêta devant moi et parut réfléchir.

Elle pensa qu’une timidité enragée me retenait seule, que j’étais plus écolier qu’elle ne l’avait cru d’abord. — Hors d’elle-même et montée au plus haut degré d’exaspération amoureuse, elle voulut tenter un suprême effort et jouer le tout pour le tout, au risque de perdre la partie.

Elle vint à moi, s’assit sur mes genoux plus prompte que l’éclair, me passa les bras autour du cou, croisa ses mains derrière ma tête, et sa bouche se prit à la mienne avec une étreinte furieuse ; je sentais sa gorge, demi-nue et révoltée, bondir contre ma poitrine, et ses doigts enlacés se crisper dans mes cheveux. — Un frisson me courut tout le long du corps, et les pointes de mes seins se dressèrent.

Rosette ne quittait pas ma bouche ; ses lèvres enveloppaient mes lèvres, ses dents choquaient mes dents, nos souffles se mêlaient. — Je me reculai un instant, et je tournai deux ou trois fois la tête pour éviter ce baiser ; mais un attrait invincible me fit revenir en avant, et je le lui rendis presque aussi ardent qu’elle me l’avait donné. Je ne sais pas trop ce que tout cela fût devenu, si de grands abois ne se fussent fait entendre au dehors de la porte avec un bruit comme de